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5 aout 2015 – En parallèle du Heavy Montréal, loin de ses milliers de visiteurs et fans de tous horizons, c’est perdu au milieu des locaux de l’université Concordia que se passe discrètement un évènement aux nuances plus extrêmes, plus sombres. On annonce des conférences, des expositions d’artistes et des shows le tout ayant un lien avec le metal et surtout le metal extrême. Mais qu’est ce qui se cache derrière cette affiche occulte ?

Pour décrire au mieux les tenants et aboutissants de cet évènement, rien de mieux que de demander à la source. Vivek Venkatesh, créateur du Grimposium, s’est très gentiment prêté au jeu de l’entrevue, juste avant le lancement officiel des conférences, pour mieux éclairer notre chandelle sur cet événement atypique et occulte.

Thorium – Premièrement une très courte présentation de ce qu’est le Grimposium pour ceux qui n’en auraient pas entendu parler?

Vivek Venkatesh – Grimposium est maintenant dans sa deuxième année, j’ai créé Grimposium l’année passée en 2014 pour regrouper des chercheurs et des académiques qui travaillent dans le domaine de la musique metal. Je cherchais un endroit, un lieu physique où l’on pourrait se rencontrer pour parler de le nécessité de l’interdisciplinarité dans le domaine des études sur la musique metal pour poursuivre de nouveaux domaines de connaissance, pour créer de la connaissance. Typiquement, il y a dans le domaine de la culture populaire ou dans la musicologie ou ethnomusicologie, des chercheurs qui font du super boulot et qui traitent des sujets différents dans le domaine de la musique metal. Moi je cherchais un endroit où l’on pouvait mélanger un peu la philosophie, la culture de la consommation, le marketing, la psychologie sociale et communautaire pour mieux décrire les différentes facettes qui touchent ce milieu. C’était comme ça que j’avais commencé mais très vite je me suis aperçu que j’avais pas mal de capital politique et social dans la scène et je voulais m’assurer que ces gens-là comme les musiciens, les journalistes et les artistes visuels, soient bien représentés dans ces discussions et que l’on commence à tenir compte des perspectives des gens qui contribuent à la scène en terme de production (musique, art, écriture). Tout ça en regardant le futur de cette scène et la recherche sur cette scène, c’est comme ça que j’ai développé l’idée de Grimposium.

T – C’est donc vraiment dans le but de rassembler toute la communauté metal pour en étudier les différentes facettes ?

VV – Oui effectivement !

T – Est-ce qu’il y a une dimension pour ouvrir ça aux gens qui ne sont pas familiers avec le metal ?

VV – Pas nécessairement. Ce n’est pas une question d’ouvrir ça au public général. J’ai rien contre le fait que les gens apprécient des genres de musique différents, si les gens aiment le metal ils vont avoir un attrait vers ce genre d’évènement mais sinon pas forcément. Ce que je voulais faire c’était développer un forum public pour discuter des choses sociales liées par exemple au racisme, à la mysogynie… moi je suis spécialiste en pédagogie sociale et en éducation, orienté vers la citoyenneté. C’est important de développer un sens critique et des discussions vers ces sujets parce que ce sont des choses qui existent depuis toujours, mais avec les médias sociaux, avec le développement des médias numériques et mobiles, on a beaucoup plus d’information mais pas nécessairement des connaissances. Comment les gens interagissent dans les scènes niches comme le metal extrême par exemple, pour discuter de choses assez sombres. Voilà le nom Grimposium, grim qui veut dire sombre et symposium.

T – Ok super! Maintenant quelque chose peut être d’un peu plus spécifique à la scène, est ce que c’est un hasard si un événement comme le Grimposium se passe à Montréal ?

VV – Non, ce n’est pas un hasard. Je suis membre de la scène metal montréalaise, je me considère comme un metalleux avant tout. D’avoir une occasion de montrer comment notre scène à Montréal est diversifiée et comment on est capable d’avoir un intérêt de la part de la scène et du public général vers des évènements comme le Grimposium, je pense que c’est très important. Je suis très inspiré, en développant Grimposium et particulièrement cette année, par les conférences d’industries qui se tiennent autour des festivals en Norvège et aux Pays Bas. J’ai été invité, surtout à Oslo et puis aussi au Roadburn (Tilburg, Pays Bas – ndlr), ils font un effort pour avoir des évènements, des conférences, avec des joueurs clés dans l’industrie du metal. Avec des propriétaires de maison de disques, des promoteurs, des journalistes, des musiciens bien sûr et le fait de côtoyer ces personnes pendant la journée et de voir un spectacle de ces mêmes personnes dans un petit club, c’est ça qu’il m’intéressait de développer. Ce genre d’interaction dans la musique entre le public, entre la scène et les producteurs de la musique et de l’art visuel dans cette scène. Ce n’est pas un hasard parce que Montréal est très ouvert à ça, on a une grande communauté de metalleux avec des gens qui apprécient un metal plus commercial comme on voit souvent dans les grands concerts au Centre Bell ou au Heavy Montréal. Mais il y a aussi une place pour le metal extrême plus niche et c’est ce que j’aime beaucoup avec les promoteurs comme Evenko qui organisent le Heavy Montréal. Ils réussissent à regrouper des groupes cultes comme Pig Destroyer qui vont monter sur la même scène que Slipknot. Ça c’est quelque chose de très difficile à réussir. C’est important aussi de montrer les différentes facettes du metal extrême et eux ils réussissent bien ça. C’est pourquoi moi je veux bien continuer ce partenariat avec ce genre de promoteurs car ils me laissent la liberté de créer des évènements assez cultes et de niche comme Grimposium. Je ne suis pas là pour promouvoir le metal, même dans la scène, même avec le public. Si des gens viennent c’est qu’ils sont intéressés et moi j’ai le pouvoir de regrouper par des contacts personnels des gens de Norvège, des Etats Unis, du Canada qui peuvent alimenter le programme de recherche que je mène dans ce domaine. C’est vraiment important pour moi. Dans un sens si les gens apprécient ça, tant mieux pour eux mais au bout du compte le programme de recherche doit tenir compte des membres de la scène, ce que l’on ne fait pas assez souvent je trouve dans ce domaine d’étude.

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T – En marge du Festival et en partenariat avec le Heavy Montreal on a cette année des shows dans plusieurs endroits à Montréal (lien en fin d’articles – ndlr). Dans l’hypothèse d’un budget infini et que toute collaboration est possible (sans pour autant ressusciter les morts) quel groupe voudriez-vous faire jouer? Qui représenterait donc le mieux l’esprit du Grimposium et pourquoi?

VV – Pour moi, peu importe le budget et même si on me demandait de rêver, j’ai déjà réussi ce que je voulais faire avec Grimposium. Tout d’abord je voulais amener le groupe Cardinal Wyrm qui a joué hier soir aux Katacombes parce que j’ai une connexion personnelle avec eux et que je trouve que leur genre de musique, la façon dont ils jouent, le doom metal avec un coté très philosophique disons, leurs paroles montrent que c’est très important d’avoir une réflexion sur la mort, la désolation… ça m’attire beaucoup ! Le fait qu’ils puissent trouver le temps de venir jouer ici à Montréal, leur tout premier concert au Canada, ça c’est quelque chose que jamais je n’aurais même rêvé faire ! Ça c’est très important pour moi. Et la deuxième chose qui était aussi un rêve mais qui est devenu réalité c’était de voir Gorguts qui est un de mes groupes préféré, je les suis depuis toujours ! De pouvoir co-présenter Gorguts aux Katacombes, dans un lieu culte et petit où ils vont pouvoir tous les quatre jouer pour une salle remplie de fanatiques de leur death metal, je trouve ça super. Je donnerai le crédit complet du partenariat avec Heavy Montréal pour ça. Dès qu’on a commencé à parler de ce partenariat, moi je leur ai dit « écoutez je voudrais avoir une soirée de première, gratuite, pour le public montréalais » et cette soirée je la voulais avec une approche multimédia, avec des films, des sessions d’écoute et aussi des groupes qui n’avaient jamais joué à Montréal. Et on a réussi à faire ça hier soir ! Gorguts c’était vraiment grâce à Evenko. C’est un partenariat mais ce sont eux qui ont réussi ce coup là. It’s one of the best thing that could have happened! From a personal stand point. Now how other people enjoyed or not, i really don’t care. Pour être vraiment franc, je fais ce que je peux avec le Grimposium parce que j’ai un intérêt personnel, parce que c’est quelque chose qui alimente le programme de recherche mais ça montre ma personnalité. Ça montre la façon dont je pense et c’est une réflexion de ma personnalité, de mon individualisme. Je fais ça purement pour définir mon individualité. Ce que je fais maintenant je ne compte pas le refaire l’année prochaine, on peut oublier ça.

T – Justement c’était ma prochaine question ! Donc pas de prochaine édition ?

VV – On peut oublier une semaine d’activité avec des petits shows comme ça ou une semaine avec des conférences… je vais faire ça une fois, c’est très important mais ça m’a pris cinq sinon six ans de développer ces contacts personnels avec les gens qui viennent. Eux ils prennent un gros risque en venant ici pour parler de choses comme leur carrière au début mais aussi des choses assez tendues. C’est pas de la gnognotte ! Il va falloir dix autres années d’immersion dans la scène pour trouver des joueurs clés comme ça. Et je comprends aussi que les gens que j’invite ici me traitent comme une personne clé dans l’industrie du metal. Alors pour moi c’est une question de refléter ça dans notre scène mais le prochain évènement que j’ai c’est en Norvège. J’ai organisé une soirée à Bergen, j’ai parlé avec Ivar Bjørnson (guitariste d’Enslaved, ndlr) et il a un projet de musique électronique, BardSpec, et j’ai assisté à son tout premier concert aux Pays Bas. On a discuté sur la possibilité d’une soirée avec ce groupe à Bergen, sa ville natale, et il a accepté de préparer une édition spéciale de Grimposium avec moi, avec des visuels pour sa performance que je vais préparer ici à Montréal. Donc ce sera une collaboration avec Ivar, à Bergen, le prochain Grimposium, mais toujours très petit, très culte, dans une petite salle garage connue comme une des meilleures salles de Bergen. Pour moi c’est une question d’élargir les limites de la musique metal extrême et aussi de montrer qu’il y a une attitude très progressive, comme celle d’Ivar par exemple. Pour moi c’est déjà un rêve réussi d’avoir fait ça à Montréal mais je ne sais pas encore ce que je vais faire après tout ça. Ça va dépendre des fonds de recherche, des connexions que j’ai, si je continue d’avoir ce capital dans la scène aussi. Les gens ne vont pas venir s’ils trouvent que ce que je fais n’aide pas à augmenter la visibilité de la scène ou bien sa réputation. Si quelque chose que je fais nuis à la réputation de la scène, bien sûr j’aurais besoin de repenser à ça. Ma loyauté va au programme de recherche et à la scène. C’est une question d’équilibre entre ces deux perspectives.

T – Super ! C’est vraiment très intéressant ! Merci beaucoup pour la discussion !

VV – Merci à toi pour les superbes questions !

T – Peut être un petit mot pour la fin ? Quelque chose à rajouter que j’aurais oublié ?

VV – Non je ne pense pas, j’espère que les gens vont venir assister aux conférences et voir les expositions d’art. C’est du jamais vu et on ne reverra jamais ça !

Pour retrouver un petit compte rendu d’une partie des évènements du Grimposium et les concerts en partenariat avec Heavy Montréal c’est par ici !

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Auteur & Photographe : Thomas Mazerolles