Mortiis Entrevue
Entrevue avec Mortiis (HĂĄvard Ellefsen)Â du 31 mars 2019
Depuis combien de temps n’avez-vous pas jouĂ© non seulement Ă MontrĂ©al mais pour une tournĂ©e nord-amĂ©ricaine?
Mortiis: C’est la cinquième tournĂ©e en AmĂ©rique du Nord que je fais, mais c’est la première fois en 20 ans que je fais ce genre de musique (ndlr : Era 1). A MontrĂ©al ? J’Ă©tais ici pour la Messes des Morts en 2017. Je n’y suis pas allĂ© Ă Toronto depuis 20 ans, je crois. J’Ă©tais peut-ĂŞtre lĂ pour la tournĂ©e de Danzig en 2005, mais c’Ă©tait un autre genre de musique, un autre genre de monstre Ă l’Ă©poque.
Avec la version groupe de Mortiis nous avons eu tellement de problèmes avec les agents et les managers… On est devenus dĂ©sabusĂ©s, Ă©nervĂ©s et fatiguĂ©s de l’industrie. Finalement, on s’est sĂ©parĂ©s… deux jours avant une tournĂ©e. Nous avons donc dĂ» faire la tournĂ©e tout en sachant que nous Ă©tions sĂ©parĂ©s. C’Ă©tait dur et pas très motivant. Nous avons fait d’excellents spectacles, mais nous Ă©tions en train de monter sur scène en dĂ©testant la tournĂ©e, en dĂ©testant le fait que nous avions Ă©tĂ© dĂ©truits par des gens de l’industrie.
Nous Ă©tions assez professionnels pour ne pas trop penser au fait que nous n’allions rien faire après la tournĂ©e. Aujourd’hui je ne dirais pas qu’on s’est sĂ©parĂ©s, plutĂ´t en pause. On a parlĂ© un peu et peut-ĂŞtre qu’un jour, on se remettra ensemble. C’est ce que j’espère.
C’Ă©tait juste que nous avions atteint un niveau oĂą comme nous ne faisions pas d’argent, tout devenait nĂ©gatif. On Ă©tait un super groupe, surtout en live, donc c’Ă©tait une de ces situations oĂą on se disait : “On se casse le cul et personne ne donne, alors pourquoi continuer Ă faire ça ?”. Le groupe n’Ă©tait plus lĂ , et pendant environ deux mois, j’ai dĂ» dĂ©missionner, puis une offre très allĂ©chante est arrivĂ©e. C’Ă©tait une petite pĂ©riode de transition pendant laquelle j’ai dit Ă ma femme et Ă mes enfants : ” J’imagine que papa en a fini avec la musique, je vais juste ĂŞtre un travailleur de la santĂ© maintenant”, ce que je fais Ă la maison. Je pense que ma femme Ă©tait soulagĂ©e d’entendre ça. Ce soulagement n’a durĂ© que deux mois, et puis j’ai dit : “Je suis de retour !”
Vous avez dit que lorsque vous ne faites pas de musique, vous travaillez dans le domaine de la santé ?
Mortiis: Oui. Je ne suis pas infirmier ; je travaille avec des gens qui ont beaucoup de handicaps mentaux. Des choses comme le syndrome de Down, des trucs de psychose, et des accidents de voiture oĂą les patients ont eu des dommages cĂ©rĂ©braux et ils sont juste, comme… bizarre. Je travaille avec une variĂ©tĂ© de ces maladies, c’est ce que je fais chez moi.
Dans la vie de musicien par rapport à la vie de famille, quelle est, selon vous, la principale différence mentale qui existe entre les deux ?
Mortiis: Je ne fais pas de longues tournĂ©es, donc d’habitude je suis de retour Ă la maison avant de rĂ©aliser que j’Ă©tais sorti. Je ne veux plus faire les longues tournĂ©es parce qu’après deux semaines, j’ai le mal du pays. Je bois trop en tournĂ©e aussi, et ça n’aide pas les nerfs ! Je ne bois pas beaucoup Ă la maison, mais j’ai remarquĂ© en tournĂ©e que ça empire de plus en plus parce qu’il n’y a rien d’autre Ă faire. La tournĂ©e est la chose la plus ennuyeuse de la planète. C’est la pire excuse de la planète. Pourquoi ne pas aller voir la ville, marcher dans les rues ? Je m’ennuierais, je m’ennuierais très facilement. C’est pour ça que je parle tant, mĂŞme le silence est ennuyeux pour moi.
Je ne veux plus faire les longues tournĂ©es parce qu’elles ne sont pas bonnes pour ma tĂŞte.
Je suis peut-ĂŞtre un peu hypocrite, mais j’ai quarante-trois ans, j’ai le droit de dire ceci : Si le bon montant d’argent arrivait sur la table, je ferais les tournĂ©es les plus longues. Ă€ l’heure actuelle, j’ai une maison, une voiture, des enfants, des factures et tout le reste, alors l’argent est un facteur important de nos jours. Ce serait une motivation, si quelqu’un disait : “On paiera 5000$ par spectacle, vous feriez ça pendant deux mois, 50 spectacles ?” C’est beaucoup d’argent ; oui, je vais le faire. Ma femme serait d’accord avec ça, je pense. Mais je ne fais pas toutes ces tournĂ©es mal payĂ©es. Je ne le fais plus. Cette tournĂ©e est gĂ©niale, je suis très bien payĂ© pour celle-lĂ .
Quelle a Ă©tĂ© l’Ă©volution ou les sources de votre costume ?
Mortiis: Le “regalia” ont commencĂ© immĂ©diatement avec la première dĂ©mo que j’ai faite au dĂ©but 1993. A ce moment-lĂ , je n’avais qu’une imagerie black metal, mais peu de temps après, j’ai eu l’idĂ©e d’aller plus loin. J’ai grandi dans les annĂ©es 80, j’Ă©tais un enfant de Kiss et de W.A.S.P., je suis assez vieux pour avoir achetĂ© le premier album de W.A.S.P. quand il est sorti! A l’Ă©poque, chaque groupe avait une image fantastique, de Twisted Sister Ă Motley Crue. Quand ma mère a rĂ©alisĂ© que j’aimais le Heavy Metal, elle a dit : “Quand j’Ă©tais jeune, on avait Alice Cooper.” C’Ă©tait le maĂ®tre de ce genre de choses ! Certaines personnes lui doivent beaucoup de gratitude, Kiss par exemple.
Comment dĂ©cririez-vous ce que vous faites Ă quelqu’un qui ne l’a jamais entendu auparavant ?
Mortiis: Je ne sais pas. C’est un peu bizarre, parce que quand j’ai commencĂ©, j’ai juste fait de la musique que j’avais dans la tĂŞte, et ça m’est passĂ© directement du bout des doigts, je suppose. Je ne savais pas comment jouer, alors c’Ă©tait juste un truc honnĂŞte, ça n’a Ă©tĂ© analysĂ© d’aucune façon. C’Ă©tait au dĂ©but des annĂ©es 90, et bien des annĂ©es plus tard, j’avais fait beaucoup d’autres types de musique et j’ai dĂ©cidĂ© d’y retourner. Aujourd’hui, d’autres personnes qui jouent ce type de musique pourraient avoir une rĂ©ponse diffĂ©rente. Je ne cherche pas vraiment Ă crĂ©er une certaine ambiance ou Ă ĂŞtre dans un certain genre. Je crĂ©e juste de la musique que j’aime, c’est difficile d’y coller une seule Ă©tiquette.
Vous avez mentionnĂ© l’ambiance et l’obscuritĂ© dans votre musique, sentez-vous un sentiment d’intimitĂ© qui influence votre son ?
Mortiis: La protection de la vie privĂ©e dans le sens oĂą nous vivons en Norvège, et moins de gens autour de nous, ce genre de choses? Je suis une personne très privĂ©e, je peux ĂŞtre très gĂŞnĂ© avec les gens, ĂŞtre dans ma bulle, et quand les gens s’approchent trop, je serai comme… (trĂ©pidation). C’est probablement mes gènes norvĂ©giens, ou mes gènes scandinaves. Nous sommes certainement moins sociables que les autres. Ayant beaucoup voyagĂ©, cette partie de ma personnalitĂ© a Ă©tĂ© un peu diluĂ©e. Je suis une personne sociale, mais je ne suis pas aussi sociable qu’aux États-Unis, oĂą vous pouvez aller dans un restaurant et vous asseoir et un gars Ă cĂ´tĂ© de vous va commencer Ă vous parler. Ça m’est arrivĂ© un million de fois. A cause des cheveux, ils sont comme “Oh, je connais un gars comme ça qui est dans un groupe ! Tu es dans un groupe ?” Et je suis genre, “Ouais.” “Comment tu t’appelles ?” Et puis je me fais aspirer dans son monde maintenant. Je suis trop poli, alors je vais essayer de lui expliquer des choses, d’Ă©crire le site web sur une serviette ou quelque chose comme ça.
Vous avez dit que lorsque vous avez commencĂ©, vous n’aviez aucune formation musicale ou ne saviez pas vraiment comment jouer ?
Mortiis: Je ne savais pas jouer parce que tout est basĂ© sur le clavier. Je ne savais pas jouer des claviers, mais ces dernières annĂ©es (Ă partir de l’Ă©poque de Emperor), je me suis lancĂ© dans beaucoup de musique expĂ©rimentale, Ă©trange, Ă©lectronique… C’est en grande partie ce qu’on appelle le krautrock, vous savez, le vieux Tangerine Dream, Klaus Schulze, Kraftwerk, des trucs comme ça. Ça m’a fascinĂ©. Avant mĂŞme que je dĂ©couvre ces groupes, je ne savais pas que l’on pouvait faire ce genre de musique sombre et atmosphĂ©rique qu’est le mĂ©tal. Je n’avais pas rĂ©alisĂ© parce que pour moi, les claviers Ă©taient comme la synthpop.
Ou progressif, si vous voulez remonter plus loin dans les années 70.
Mortiis: J’aimais bien le vieux Pink Floyd et tout ça, quand on parle de progressif….Rick Wakeman, et dans une certaine mesure Yes. J’ai eu du mal avec la voix d’Anderson, mais j’ai adorĂ© leurs trucs plus sombres, c’Ă©tait fantastique. J’Ă©tais en train de m’y mettre quand j’Ă©tais dans Emperor, Ă©largissant en fait mes horizons musicalement pour la première fois de ma vie. Cela m’a beaucoup inspirĂ©. Quand j’ai quittĂ© Emperor, c’Ă©tait ma troisième tentative et toutes les autres avaient Ă©chouĂ©. J’en avais marre d’essayer de faire en sorte que ça arrive et de traiter avec d’autres personnes, alors je me suis dit que j’allais y aller seul. Je suis allĂ© au magasin de musique, j’ai achetĂ© un clavier, je suis rentrĂ© chez moi et, trois mois plus tard, j’avais une dĂ©mo. Je ne savais pas comment y jouer, mais cela rendait ma musique très honnĂŞte Ă l’Ă©poque.
Auteur :Â Shay Spivak
Photographe : Thomas Mazerolles